Je suis assis dans un magasin
poussiéreux, à un bureau couvert de traces d’usure et je me dis
que le mur en face de moi devrait être repeint. En Allemagne,
j'aurais peut-être pensé qu'il faudrait urgemment le repeindre.
Mais ici en Afrique, il y a peu de choses qu’il « faudrait »
faire, et surtout pas urgemment. Alors que je regarde le Chef de
magasin (le titre sonne plus important que la réalité de la tâche)
qui manipule silencieusement son smartphone, je m'étonne de la
vitesse à laquelle on peut s'habituer à des changements. Par
exemple la chaleur, à cause de laquelle la porte du magasin reste
ouverte tant que quelqu'un est dedans. Non pas que 42°C devienne
agréable, mais on sait que : on transpire, on est fatigué, on
respire difficilement, et faire du vélo revient à souffler dans un
sauna - tout est normal. Il y a aussi les odeurs. Quand il y a 3
mois, à Douala, je suis descendu de l'avion, c'était la première
chose qui m’a frappée. Ça sentait exactement comme après l’une
des visites de tant d'Africains chez nous à la maison, à Berlin.
Toutes ces personnes de différents continents m’ont permis de
découvrir que chaque continent à sa propre odeur, et là c'était
incontestablement celle de l'Afrique.
L’Afrique – comme ça sonne.
Quelques fois, quand je suis assis dans la cour d’un ami de
l’église ou quand je réponds au klaxon des moto-taxis d’un
hochement de tête, alors il me revient rapidement à la conscience :
tu es en Afrique. Parce que bien que tous les gens aient une autre
couleur de peau, que le sable ne soit pas gris-brun mais rouge, qu’on
puisse cueillir des mangues aux arbres, et même si on réalise
constamment que les gens règlent leurs problèmes autrement, qu’ils
pensent autrement, qu’ils mangent autrement et qu’à l’église,
deux tiers du culte n’est que danses, on oublie quand même souvent
qu'on est à 6 000 km de chez-soi. Comme dit, on s'habitue très
vite.
Après plus de 100 jours aux Cameroun,
je salue maintenant mes connaissances en foulfouldé quand ils me
croisent dans la rue, j'arrive en retard à chaque rendez-vous et je
ne peux plus m'imaginer une église où les gens restent assis pour
chanter. De la même manière, on ne peut plus s'imaginer, une ville
entièrement desservie par un réseau de bus et de trams, ou que tout
le monde possède un smartphone. Lucas, le chef de magasin, en
possède un, mais c’est à mon avis uniquement parce qu'il est
beaucoup avec des blancs. C'est peut-être aussi la raison pour
laquelle je discute si bien avec lui. La difficulté d’avoir une
conversation où l’on comprend et où l’on se sent compris, hors
barrière de la langue, montre à quel point les cultures sont
différentes. Ça m’a paru plutôt facile avec Lucas. Avec Élie
aussi, en effet Élie a une femme blanche. Avec Gouada par exemple,
c'est nettement plus difficile. Même quand on a un sujet solide, qui
serait en Allemagne un ingrédient plus que certain pour une bonne
discussion, il est quand même souvent difficile de savoir ce qu’il
voulait dire, et ce qu’il va dire ensuite. À la maison, on y
arrive souvent. Ici rarement.
J'aime quand même bien Gouada. Il est
stagiaire au CTG, Centre Technique de Garoua, l’œuvre, où je fais
depuis janvier 2018 mon volontariat. L’idée venait à l’époque
de mon père, et après avoir été d’abord sceptique, j’ai pu à
la fin de mes études avoir l’enthousiasme de travailler en intérim
3 mois, pour gagner l’argent du billet d’avion, des vaccins et du
VISA. Il est fort possible, que c’est la raison des problèmes de
conversation : 2 personnes se retrouvent au même endroit, qui
viennent de mondes différents et qui recherchent des choses
différentes. Moi, pour ma part, ne recherche ici en Afrique rien de
spécial, ni une femme, ni un appel, ni une illumination, même si on
m’a déjà proposé beaucoup de femmes et que j’ai déjà
rencontré beaucoup d’appelés et d’illuminés... Je voulais
simplement savoir, comment est cette Afrique, dont on discute
toujours avec une bière et une cigarette le samedi soir, quand
l’illusion revient, que nos paroles peuvent changer le monde.
De sujet de discussion au monde réel.
Pas de plan de sauvetage du monde. Pas de fuite. Juste de la
curiosité.
Enfin la curiosité m’a amené
jusqu’ici, où je réorganise et digitalise les stocks du magasin.
Des tâches pour lesquelles je ne suis pas formé. Voilà encore une
chose à laquelle on s’habitue : qu’en fait personne n’a
véritablement besoin d’un diplôme, pour faire du bien, mais que
même avec un diplôme, on ne peut rien faire, si on n’en a pas
l’envie. Mais si on le veut bien, on peut facilement poser des
câbles électriques, changer des robinets, couvrir des toits, souder
des plaques en métal et faire de la moto, même si on n’a pas fini
le collège. J’ai bien fini le collège et même le lycée, et j’ai
encore rajouté un apprentissage, et je me suis quand même senti
comme un poisson à terre, quand on m’a expliqué pour la première
fois mes tâches. Ce jour-là, je me suis assis dans ma petite
chambre, sur le ciment chaud et j’ai prié Dieu, qu’il règle,
s’il te plaît, simplement tout, de n’importe quelle manière,
parce que j’étais complètement dépassé - un sentiment très
familier quand on se trouve sur un autre continent et qu’on ne
maîtrise pas la langue. J’ai finalement appris la langue et, comme
je l’avais demandé, Dieu a simplement tout réglé. C’est
pourquoi aujourd’hui je peux chanter et rigoler avec le groupe de
jeunes, visiter des amis le dimanche après-midi et bien dormir la
nuit, malgré la chaleur. Quand Dieu règle les choses, il est vrai
que tout n’est pas facile ou formidable mais tout est simplement
suffisamment formidable pour être content et sourire intérieurement
le soir dans son lit, parce qu’il y a beaucoup plus de choses pour
lesquelles se réjouir, que s’énerver.
Sur ce, je ne veux pas oublier que je
téléphone beaucoup avec l’Allemagne et sans ces amitiés et ces
soutiens, la vie ici aurait certainement été moins facile. Voilà
encore ce que le lointain t’enseigne : tout ce qu’on a,
quand on revient à la maison.
Moritz Manuel